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Dialogue imaginaire (mais basé sur des faits réels) entre Rémi le Rémois et Adrien le Troyen)

     – Qu’as-tu pensé de ce match de foot, Rémi mon ami ?

     – Que l’on a encore perdu le derby, Adrien mon copain !

     – Je te sens beau joueur, même si j’imagine que ta fierté a dû en prendre un coup. Car c’est bien la suprématie régionale qui est en jeu.

     – J’accepte la défaite, Adrien, car c’est la beauté du sport : le gros ne gagne pas toujours contre le petit. Et d’ailleurs je suis persuadé que nous prendrons notre revanche lors de la prochaine rencontre.

     – Possible, mais Troyes restera toujours la « capitale historique de la Champagne » !

     – Comment pourrais-je l’oublier, alors que les supporters troyens se font un malin plaisir de le rappeler à chaque match ? Même le club s’y est mis, avec cette immense bâche posée avant le coup d’envoi dans le rond central et portant cette inscription « Troyes capitale historique de la Champagne » ! Ne serait-ce pas plutôt Troyes capitale « hystérique » de la Champagne ?

     – Très drôle, Rémi. Mais c’est juste pour vous titiller. Peut-être aussi que nous autres Aubois voulons rendre aux Marnais la monnaie de leur pièce pour avoir dénigré autrefois notre champagne. C’est notre manière à nous de nous venger en vous rappelant qui a le plus de légitimité.

     – J’aurais beau jeu à mon tour de te rappeler qu’une trentaine de rois de France ont été sacrés à Reims, que c’est à Reims que le Troisième Reich a capitulé et à Reims encore que la France et l’Allemagne se sont réconciliées ! Excuse-moi du peu. Quoi qu’il en soit, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis le temps où les comtes de Champagne régnaient sur la province et avaient fait construire leur palais à Troyes. Et du reste, Adrien, peux-tu me dire quelles traces ce château a laissées ?

     – Aucune, j’en conviens. Le palais a été démoli après la Révolution. Il se dressait à l’emplacement de l’actuelle place du Préau et du Bassin de la préfecture. Ses vestiges reposent au fond de l’eau.

     – Bon, alors tout ça c’est de l’histoire ancienne. Pourquoi alimenter encore cette pseudo-rivalité régionale entre Reims et Troyes, de manière un peu surjouée à mon goût ?

– Tu as raison, Rémi. On ne va pas remonter jusqu’à l’époque gallo-romaine où Troyes s’appelait Augustobona et Reims Durocortorum, avant que deux peuplades gauloises, les Rèmes pour Reims et les Tricasses pour Troyes, n’inspirent les noms de nos villes respectives. Et par parenthèse, Rémi, il me semble que ton prénom en tire aussi son origine.

-Effectivement. Comme quoi on n’efface jamais complètement l’histoire. Ce qui a pourtant failli arriver à Reims durant la Première Guerre mondiale, dont il (1) est sorti rasé presque aux deux tiers.

-C’est pourquoi j’affirme que Reims est une ville du XXe siècle, et Troyes une ville du XVIe siècle !

-Je souscris à tes propos, Adrien, car Troyes a connu aussi un épisode catastrophique en 1524, quand un gigantesque incendie a détruit un tiers de la cité et qu’il a fallu rebâtir tout un quartier.

C’est pour cela que l’architecture des deux villes est si dissemblable : les maisons à pans de bois à Troyes, héritage du Moyen Age et de la Renaissance, l’Art déco à Reims, issu de la reconstruction, si je schématise à l’extrême.

     – J’en tire pour ma part la conclusion, Adrien, que nos deux villes sont complémentaires et qu’il est vain de les opposer.

     – Tout à fait de ton avis, Rémi ! Si Troyes est la capitale historique de la Champagne  — pardon de retourner le couteau dans la plaie —, on peut concéder à Reims le titre de capitale économique et universitaire de la région (même si celle-ci a disparu, fondue dans le Grand Est).

     – Je pense même que les vrais antagonismes sont ceux qui existent entre Reims et Châlons-en-Champagne, choisi à sa place pour être la préfecture de la Marne, et entre Reims et Epernay, qui se disputent le titre de capitale du champagne (et non de la Champagne !).

     – C’est sans doute le moment de méditer sur la devise des comtes de Champagne, qui était, rappelle-toi : « Passe avant le meilleur. »

     – Alors, passe avant le meilleur, Adrien !

     – Je n’en ferai rien, Rémi : passe avant le meilleur !

(1) Eh oui ! il y a une vraie différence entre Reims et Troyes : Reims est du genre masculin, et Troyes du genre féminin ! Preuve supplémentaire qu’ils sont faits pour s’entendre !

Texte : F. Marais

Photos : Entête et Mise en avant © Phillip Kofler  S. Hermann et F. Richter