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L’histoire a parfois eu tendance à occulter l’importance des femmes dans la littérature. En effet, bien peu sont connues comme écrivains, et les personnages féminins ont parfois pu paraître caricaturaux et peu diversifiés. Il est pourtant un personnage à l’origine historique, qui a traversé l’histoire et la littérature, s’élevant comme figure forte et inimitable : Jeanne d’Arc.

Née à Domrémy, dans les Vosges, au XVème siècle, Jeanne d’Arc est célèbre pour avoir guidée l’armée française contre l’armée anglaise, jusqu’au couronnement du roi Charles VII, à Reims.

« Jehanne la bonne Lorraine »

Célèbre pour ses exploits guerriers, Jeanne d’Arc devient une figure majeure de la littérature, dépassant les récits historiques et les chroniques qui racontent les évènements se déroulant, intégrant alors des œuvres créatives.

Le poète François Villon, en 1461, écrit un poème qui rend hommage aux héroïnes des siècles passées, les femmes parvenues à s’élever et s’imposer dans le monde.

Après avoir ainsi évoqué Héloïse, Berthe au Grand Pied, Béatrice, Villon parle dans son poème « Ballade des dames du temps jadis » de « Jehanne la bonne Lorraine qu’Englois brulèrent à Rouan ».

Trente ans après sa mort, Jeanne rejoint alors les personnages mythiques du Moyen-Âge.

François Villon, poète du Moyen-Âge, se détache de la forme des romans, qui étaient écrit en vers, selon un nombre réguliers de syllabes, et privilégie la forme brève pour faire de Jeanne d’Arc un personnage de son poème. La poésie du Moyen-Âge est très liée à la situation politique dans laquelle vit le poète. Ces derniers se trouvent dans les cours des puissants, hommes de pouvoir.

Charles d’Orléans par exemple, autre acteur important de la Guerre de Cent ans, croise les influences. Il est un prince-poète, à la fois roi de France et fin écrivain. Elevé et emprisonné par les Anglais, il écrit tout son amour pour le royaume de France qui lui manque tant.

La présence de la figure de Jeanne d’Arc dans le poème de Villon, trente ans après sa mort n’est donc pas surprenante. Jeanne commence ainsi à quitter les mémoires terrestres pour devenir une figure mythique, un personnage rendu immortel pour la littérature.

« Je suis prête ; voici mon épée à la lame affilée » , Shaekespeare, Marlowe, Greene

A la toute fin du XVIè siècle, c’est autour des plus grands dramaturges britanniques de s’emparer de la légende. Observée du point de vue anglais, Jeanne a tout pour être une héroïne tragique.

Fille de berger, guidée par les Saints, elle conduit ainsi tout une armée, avec succès, jusqu’à repousser l’envahisseur anglais. Elle finit trahie par son camp, vendue à l’ennemi, puis brûlée, à peine âgée d’une vingtaine d’années.

Pourtant, dans la pièce d’Henri VI, probablement écrite par plusieurs dramaturges, dont Skaekespeare, Robert Marlowe et Christopher Greene, originaires du « camp ennemi », elle est décrite selon l’image qu’elle avait à cette époque en Angleterre. C’est donc la guerrière qui s’impose avant toute chose.

Au même titre que les chefs de guerre masculins, Jeanne se bat et gagne les batailles. La pièce raconte les batailles de la Guerre de Cent ans du point de vue anglais, analysant les stratégies de bataille françaises, tandis que l’Angleterre sombre dans la « Guerre des Deux Roses », la guerre civile.

Jeanne y est donc représentée comme la guerrière ennemie, véritable sorcière dotée d’une grande force. Une nouvelle facette de la Jeanne d’Arc devenue personnage de fiction fait alors son apparition. Personnage historique détournée, Jeanne prend une dimension nouvelle, et s’enrichit de chaque texte, de chaque œuvre la prenant pour sujet.

 » Jeanne, ébranlée, admire, rêve, pense. Aimer un âne et lui donner sa fleur ! « 

Retournons en France où Voltaire s’est également appliqué à écrire, pendant plus de trente ans, un long poème, composé de vingt et un chants, intitulé « La pucelle d’Orléans ». Initié en 1730, ce projet ne sera conclu qu’en 1761. Il fera alors l’objet de nombreuses tentatives de censures, et des versions pirates circulent de façon illicite.

Cette œuvre est jugée terriblement scandaleuse, puisqu’elle prend le parti de rire de Jeanne d’Arc, de cette figure déjà détournée par la littérature, allant jusqu’à lui prêter une relation avec un âne. Cette Jeanne d’Arc est présentée comme naïve, faible d’esprit. Tout l’inverse de celle de Skakespeare !

Le mystère de la charité de Jeanne d’Arc

Un autre auteur pour lequel Jeanne d’Arc est une figure incontournable : Charles Péguy. Auteur et poète de la fin du XIXè et début du XXè siècle, Charles Péguy fera de Jeanne d’Arc un symbole fort qui l’inspire dans de nombreuses œuvres, tant en prose qu’en vers.

Très inspiré par la littérature médiévale, notamment les « mystères », courtes pièces racontant des épisodes bibliques (notamment utiles pour les personnes qui ne parlaient pas le latin, langue des messes, et ne sachant pas lire) les thématiques de cette période se retrouvent dans ces textes.

L’œuvre de Charles Péguy se caractérise notamment par l’expression d’une foi chrétienne profonde et intime, une sacralité qui se ressent sous la forme de médiations catholiques.

La figure de Jeanne d’Arc, à contre courant de son temps, faisant respecter sa foi, s’imposant malgré tous les paramètres contre elle (le fait d’être une jeune femme d’origine paysanne notamment) inspire le poète tout au long de sa vie et de sa carrière. Contrairement à l’œuvre de Voltaire, c’est donc avec respect et déférence que Péguy fait référence à la Pucelle d’Orléans.

De plus, Charles Péguy est né à Orléans, lieu symboliquement lié à la légende de Jeanne d’Arc, de quoi créer des liens forts entre les personnages malgré les siècles qui les séparent.

« Cette usine est un enfer »

Mais la figure de Jeanne est protéiforme et se prête à de nombreuses réinterprétations. Ainsi, de l’autre côté du Rhin, Bertold Brecht, dramaturge majeur de la première moitié du XXème siècle écrit en 1931 Sainte Jeanne des Abattoirs.

Ecrivant contre la société capitaliste et industrielle qui s’impose, Brecht transpose la figure de la guerrière armée à une lutteuse syndicaliste à la rescousse de la classe ouvrière.

Renommée Jeanne « Dark » pour l’occasion, elle prend alors place dans le contexte des premières crises financières, après 1929, où commencent à monter les élans populistes et nationalistes, tandis que Mussolini et Hitler s’approchent et s’installent au pouvoir.

Jeanne d’Arc change alors totalement d’environnement, mais demeure une lutte tant contre l’injustice, contre le malheur, contre l’oppression, même dans un contexte socio-politique totalement différent de celui dans lequel la véritable Jeanne a vécu.

La littérature a donc été une grande source d’inspiration pour tous les auteurs, à travers tout le monde occidental. En effet Jeanne d’Arc a ainsi même traversé l’Atlantique, grâce à Marc Twain, l’auteur de Tom Sawyer, qui lui a consacré une biographie.

Ce n’est donc pas une Jeanne d’Arc unique, figée qui nous est proposée, mais bien une figure historique, désormais intégrée à la littérature, qui nous donne a entendre une multiplicité de voix, de toutes époques, de tous milieux, de toutes origines.

Ainsi, bien qu’aucun portrait, qu’une représentation visuelle n’ait été réalisée du vivant de Jeanne d’Arc, la littérature nous ouvre un panel de représentation extrêmement vaste, dépassant parfois la figure historique, majeure dans l’histoire de France, mais qui est aussi passée à Troyes.

En effet, en juillet 1429, Jeanne d’Arc a assuré le siège de la ville de Troyes, afin de la soustraire à la domination anglaise.

Jeanne écrit une lettre aux Troyens, ses « Très chers et bons amis » pour leur demander de se rendre. Après avoir conquis la ville, la « Pucelle d’Orléans » poursuit sa route pour repousser l’envahisseur.

Les traces du passage de Jeanne d’Arc sont relativement rares, souvent sous la forme de témoignages. Une plaque, apposée sur la façade de la cathédrale Saint Pierre-Saint Paul de Troyes témoigne rétrospectivement de la venue de Jeanne d’Arc à Troyes .

Pourtant, il est aujourd’hui possible d’admirer dans l’exposition « Un roi pour deux couronnes », à l’Hôtel-Dieu-le-Comte, une des trois exemplaires authentiques de la signature de Jeanne d’Arc, seules traces écrites directes de l’existence de Jeanne.

L’exposition célèbre ainsi les six cent ans de la signature du Traité de Troyes, qui consacre, en 1420, le fils d’Henri V comme héritier du royaume de France, après son mariage dans l’église Saint-Jean-au-Marché avec Catherine de France.

Partant de la signature de ce Traité, l’exposition retrace également l’histoire de la Guerre de Cent ans, proposant de voir des objets exceptionnels ayant appartenus aux différents acteurs de cette part d’histoire, tant du côté des dirigeants et des rois que du côté des soldats.

Par le biais de toutes les représentations créatives dont elle a fait l’objet en littérature, Jeanne d’Arc pourrait donc apparaître comme un personnage déformé, réinterprété, réorienté, que les auteurs se sont réappropriés.

Pourtant, son action fut si importante qu’elle a pu influencer le court de l’Histoire, celle qui nous est parvenue, et qui fait que le monde a pu poursuivre son cours jusqu’à aujourd’hui.

Il faut donc profiter de l’occasion qui est offerte de voir un texte original signé par Jeanne d’Arc pour nous apercevoir que celle-ci n’est finalement pas si éloignée que nous pourrions le penser, afin de rendre à l’Histoire tout son relief, et qui n’a bien souvent, rien à envier à la fiction.

Photo d’entête : Statue Jeanne d’Arc © Jackie Lou DL et photo de mise en avant Jeanne d’Arc © Ben Kerckx

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