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L’oiseau aux doigts bleutés

Aucune Créature, même volatile, n’est oubliée dans le regard de Dieu.
Pourrait-on encore les maltraiter, les ignorer, en ne cherchant pas à les reconnaître ?
( Luc 12, 6 )

Il va neiger sur Troyes,
Il neige,
Il a neigé.

Un oiseau attend, de marbre, incrusté dans le froid derrière une vitre.

La fenêtre s’ouvre enfin, libère onze grammes, un angelot bleu abysse, ciselé d’impatience et de merveilleux.

Se réfugiant au creux d’une main, il s’y blottit, et réchauffé, se saisit de la graine de tournesol, remerciant son protecteur, du vivant velouté de son corps et d’un ardent scintillement de regard.

Ce trésor des îles, qui cultive l’art du beau, aux nuances de bleus, baptisé ici Mésange bleue, en latin « parus caeruleus », et Petit forgeron « herrerillo » en Espagne, jouit d’une grande popularité familiale.

Cette gracieuse hôte des mangeoires, s’y installe en hiver avec sa cousine la charbonnière, en se querellant ardemment pour l’accès aux vivres.

L’existence l’orne tête au pied, d’un bonnet bleu ciel, inséré d’un liséré bleu nuit noire, reliant bec-œil-nuque. S’y associent des miroitements bleu gris dorsal, jaune citron ventral, parachevant cette unique toile de Maître.

De mémoire de passereaux, le bleu pastel de l’alliance calotte-ailes-queue, marié à un bleu plus modéré aux pattes et aux doigts, est inaccoutumé chez eux.

Batifolages bleu électrique, vols de crooners en parachute, offrandes rituelles, hérissements de plumes frontales bleu azur animent le ciel et créent au printemps, des couples ardents.

Les sexes se différencient entre eux, grâce à l’inégale réflexion de leurs couleurs aux rayons ultraviolets, imperceptibles à l’œil humain.

Un inné sens chorégraphique anime un corps chuintant à l’envers, délestant les feuillus de la vermine : au quotidien, plus de mille insectes seront nécessaires à sa survie.

Dès les frimas, la mésange bleue zinzinule de son chant en cousinade dans les roselières des étangs, perforant les cannes desséchées, à la recherche de chrysalides.

Anoblie à pilonner de son bec pointu et compact, les graines coriaces, dont celles de gui, collées aux branches par les grives et les fauvettes, il lui revient de détruire ces parasites, les digérant dans un estomac aux sucs digestifs très corrosifs.

Son logis se compose d’isolants : mousse, laine, poils, soie d’araignées, et de plantes aromatiques aux vertus désinfectantes : menthe, lavande, thym, que la mésange découvre avec son odorat.

Le tissage de l’assortiment forme une coupelle finement garnie de duvets et de crin, installée dans une cavité à l’entrée étroite ( arbre, nichoir adapté ), où la femelle couve 18 jours, onze œufs choyés, à une température constante sous elle, de 39° en air libre !

Ci-contre «  Nid de mésanges dans un nichoir adapté à l’espèce » « Les oisillons s’appellent mésangeaux »

Les oisillons nidicoles* nécessitent des parents un tour de force d’allers-retours sur 20 jours, en becquées de chenilles, entre autres les carpocapses du pommier et du poirier, potentiellement ainsi détruites à 90 %.

Malheureusement pour elle, une bactérie provoquant une pneumonie a récemment décimé en Europe une population d’environ 26 000 congénères.

Néanmoins, c’est une solide bleue turquoise qui baguée, nous a renseigné sur sa durée moyenne d’existence : huit ans et sept mois.

Du fait de sa remarquable fécondité, les Romains associaient sa visite alentour, à un présage, celui d’une généreuse fertilité au sein de leur demeure.

Elle confère la légèreté, couplée de l’indépendance, au bénéficiaire d’un bras tatoué à son effigie et elle est vénérée des Marins comme les symboles de loyauté et de chance.

«  Mésange bleue en hiver, en quête de nourriture »

Seule espèce de sa famille des Paridés à arborer du bleu cobalt sur la tête, cette conquérante joue subtilement de l’art puissant et vulnérable du beau.

Protégée juridiquement depuis 1981, elle reste cependant très méfiante dans l’environnement n’y voyant pas forcément que du bleu.

Prochain hommage en avril avec le plus fédérateur parti qui soit : la Nature.

  • Nidicole : celui qui reste au nid, s’y fait nourrir un temps
    Nidifuge : celui qui quitte le nid rapidement et s’émancipe

Avec l’autorisation de l’Est Eclair / Libération Champagne

Photos : Entête et Mise en avant © Fabrice Croset