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Eh bien les deux ! (La preuve par les Trois Mousquetaires.)

Ma chère Lucie,

Comme tu le sais, je passe quelques jours de vacances dans cette belle ville de Troyes. Je ne me lasse pas d’en arpenter les rues étroites bordées de maisons multicolores. On se croirait plongé à une autre époque, au milieu d’un décor pour film de cape et d’épée !

Eh bien figure toi que je ne pensais pas si bien dire ! Car quelle ne fut pas ma surprise, et mon désappointement, de ne pas pouvoir accéder au merveilleux quartier Vauluisant où je me faisais une joie de flâner à nouveau.

Imagine-toi que l’on était en train d’y tourner plusieurs scènes d’une superproduction française inspirée des Trois Mousquetaires, le célèbre roman d’Alexandre Dumas !

Comme je l’appris par la suite, le producteur et le réalisateur du film (ou plutôt des deux films, car il s’agit d’un diptyque consacré l’un à D’Artagnan, l’autre à Milady) avaient choisi Troyes pour l’aspect pittoresque de son centre historique et l’exceptionnel état de conservation de son patrimoine architectural. L’attrait de Troyes l’avait emporté sur la tentation d’aller tourner en Europe de l’Est, comme c’est paraît-il devenu la mode dans l’univers du 7e art.

L’équipe avait pour ainsi dire privatisé deux semaines durant toute cette partie de la ville, dont je te confirme qu’elle est bien l’une des plus époustouflantes de la vieille cité tricasse. Impossible pour moi de revoir cet incroyable hôtel de Mauroy, qui abrite la fabuleuse Maison de l’outil et de la pensée ouvrière, puisque le réalisateur y avait établi son quartier général !

Je me désolai aussi que l’on m’empêchât de remonter (ou de redescendre, selon le sens où tes pas te mènent) la sublime rue Larivey et d’emprunter le lacis de ruelles qui l’entoure, aux noms si évocateurs : rue de la Trinité, rue du Petit-Credo, rue du Marché-aux-Noix…

J’eus quand même l’agrément d’entendre les fers des chevaux résonner sur le pavé troyen comme un écho lointain du passé, ce qui m’a procuré une vive impression lorsque cette cavalcade se produisit de nuit, trouant le grand silence (car oui, le tournage fut pour moitié nocturne).

Question saugrenue, penseras-tu peut-être, mais dont j’avais un premier élément de réponse précisément grâce au tournage des Trois Mousquetaires.

Je ne crois pas me tromper en affirmant que l’action du roman se déroule au XVIIe siècle. J’en déduisis que la ville devait au moins remonter à cette époque, en tout cas dans sa partie servant d’écrin au film. Mais je décidai d’en savoir plus et me plongeai dans l’histoire locale.

Je découvris qu’un gigantesque incendie avait ravagé près d’un tiers de la ville en 1524, et que les maisons à pans de bois, qui font aujourd’hui l’orgueil de la cité, avaient probablement été reconstruites à l’identique à l’emplacement de leurs aînées. Le tracé des rues était lui aussi un héritage du Moyen Age, même si certaines d’entre elles avaient été élargies pour la commodité de la circulation.

La conclusion s’imposait à moi : Troyes est une ville médiévale, dont l’architecture si particulière tisse une atmosphère que notre imaginaire raccroche à une période de notre histoire encore nimbée de mystères. C’est la Troyes des comtes de Champagne, qui en avaient fait leur capitale, et celle des célèbres foires de Champagne, places fortes du commerce mondial.

Puis je songeai que l’année 1524 renvoyait en réalité à la période de la Renaissance française. Et que par conséquent Troyes était également fondée à se voir incluse dans ce grand mouvement artistique et culturel qui embrasa l’Europe entière. On parle d’ailleurs encore ici du « Beau XVIe siècle », qui vit naître toute une génération de sculpteurs de grand talent et fleurir de magnifiques hôtels particuliers construits en brique et en craie, le fameux « damier champenois ».

En témoigne l’hôtel de Mauroy où, tiens, tiens, l’équipe de tournage des Trois Mousquetaires avait élu domicile. Tout près, l’église Saint-Pantaléon témoigne de cette double appartenance, avec son style gothique et son décor Renaissance. L’époustouflant hôtel de Vauluisant a lui aussi été reconstruit après le grand incendie. C’est ainsi qu’à Troyes, Moyen Age et Renaissance s’épousent pour jouer sans cesse à cache-cache avec le visiteur.

Je me console de n’avoir pu m’immerger une nouvelle fois dans cet extraordinaire quartier où deux époques se confondent si intimement en songeant à la joie que j’aurai à me rendre à tes côtés, ma chère Lucie, à la projection du film Les Trois Mousquetaires, me donnant l’occasion de redécouvrir les décors d’une ville que j’aime tant et de partager avec toi l’immense plaisir que j’y prendrai.

Texte : F. Marais

Photos : Entête et Mise en avant © Apollonia Gontero