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( dernier épisode d’une série de cinq )

La nature, tout comme l’art, nous abreuve inconsciemment, elle est le salut à notre nécessaire besoin quotidien de ressourcement.

Observer des chenilles évoluer dans leur univers est un heureux privilège que j’ai vécu une dizaine d’années, l’avantage d’une présence que je vous fais partager en mai, le plus beau moment de l’année.

Dans le paradoxe des origines de l’œuf et de la poule, la chenille qui elle, sort d’un œuf, mais pas l’inverse, n’est nullement concernée . L’écrivain Denis Diderot, évoque d’ailleurs cette question dans son roman « Le rêve d’Alembert ».

Abordons parmi ces turbulences atmosphériques saisonnières, les métamorphoses complètes du petit paon de nuit, superbe orfèvrerie vivante de notre région qui prend de l’activité dès la réapparition du printemps, accompagné d’une agréable fleur, l’anémone Sylvie des bois.

Après l’accouplement, la femelle de ce papillon colle parcimonieusement des œufs bruns sur le prunellier, sa plante hôte, dont les feuilles nourriront ses petits pendant 2 mois et demi, avant de s’encoconner.

C’est un insecte qui mesure à la naissance 1 mm environ pour atteindre à la maturité 6 à 7 cm.

S’extrayant d’un œuf de 1,5 mm, dont elle croque la coquille aux vertus protéiniques, voici la chenille lancée dans la vie !

Qu’est-ce-qu’une chenille ?

Son organisation interne est celle d’un animal : appareil buccal, tube digestif, systèmes nerveux, circulatoire et sensitif, cœur, aorte, intestin.

Ses 6 vraies pattes thoraciques ( les futures membres du papillon ) assurent le déplacement et le saisissement des feuilles, ses 5 paires de fausses pattes postérieures en forme de ventouses musclées, permettant de s’agripper.

La morphologie d’une chenille s’apparente à un organisme à la cuticule molle, divisé en 3 parties, (tête, thorax, abdomen) avec : 12 yeux simples, les stemmates ; des orifices respiratoires sur le côté, les stigmates ; des organes appelés palpes qui portent les aliments à la bouche ; des glandes séricigènes, les filières, productrices d’une soie liquide, durcissant à l’air et qui s’écoule d’un orifice sous sa tête.

Les dangers

Vivre dans une constante incertitude, concomitante aux aguets, aux tremblements puis aux camouflages, tel est le lot quotidien de survie d’une chenille.

En riposte à la moindre menace ( bec, mandibule, pluie, vent, humain ), elle peut promptement se laisser tomber au sol, accompagnée de l’opportunité d’un fil de soie fabriqué séance tenante, fil qu’elle remontera sitôt l’alerte passée.

S’alimenter et grandir

Les feuilles du prunellier d’une superficie chacune d’1cm2 environ, sont dévorées
moyennant raffinement et coordination, au départ à plusieurs commensaux sur la même
surface. Les crottes tombent et fertilisent naturellement la terre.

Au fil des jours, la chenille grossit, prend de l’indépendance en s’éloignant de la presse
de ses congénères, améliorant graduellement dextérité et endurance via ses
ondoiements.

L’arbuste de l’espèce adopté, identifié avec son fin odorat, est son restaurant définitif,
choisi lors de la ponte des parents.

Des transformations s’opèrent : le corps croît, le vêtement devenu trop étroit craque
sous la poussée interne. Un autre apparaît, d’une taille supérieure ajustée pour quelques semaines.

Il y aura 5 mues, accompagnées d’une pigmentation cuticulaire progressive, pour atteindre au final, une fluorescence vert – pomme, piquetée de verrues jaunes ou rosées (la photo d’introduction du sujet).

Ces chenilles inoffensives et bienfaitrices, représentantes d’une nature complexe, élevées et nourries des années durant dans mon atelier, ont circulé dans les Écoles et les Ehpad-Maisons de retraite du département afin d’être admirées, reconnues et touchées sans appréhension.

Leur présence et leur contact ont ravi les sens, charmé la personnalité de nombreuses générations d’Aubois par l’éphémère beauté de leurs coloris.

Mais malencontreusement, elles sont souvent victimes de l’ignorance dans leur habitat maltraité, voire la plupart du temps détruit.

Habiter poétiquement le monde , c’est l’occuper aussi et d’abord en contemplatif »
( Christian Bobin )

Avec l’autorisation de l’Est Eclair / Libération Champagne

Texte et photos © Yves Meurville