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La joie de contempler et de comprendre, Voilà le langage que me porte la Nature »

Albert Einstein
Extrait de : Comment je vois le monde (1934)

© Yves Meurville

Qui s’en souvient ?

Dans la clémence des jours du printemps 2009, des facteurs météorologiques modifièrent le flux migratoire du papillon Belle – Dame ou Vanesse du chardon.

Ainsi, nous assistâmes, le mardi 12 mai, à son inaccoutumée invasion et nous vécûmes ce phénomène, comme une véritable hallucination.

Inondant la région d’une explosion de battements d’ailes, de frêles corps exténués nous frôlaient, s’écrasaient sur les pare-brises des voitures, se posaient partout hébétés.

Découvrons ensemble ces existences remarquables, dont quelques sédentaires individus ont adopté définitivement notre beau pays.

La Belle – Dame ou belladone

Son nom provient de l’italien « bella donna » , faisant allusion aux effets du suc de la belladone, utilisé autrefois par les élégantes italiennes, dilatant la pupille des yeux qui devenaient plus profonds et plus beaux.

Ses caractéristiques

Ses ailes marbrées d’orangé et tachées de noir ont les faces inférieures agrémentées d’une diffuse couleur rosée.

Les femelles collent séparément sur des chardons, des œufs verdâtres, longitudinalement côtelés.

Après éclosion, les chenilles y tissent des abris soyeux, qu’elles occupent 20 jours, avec des sorties nocturnes pour s’alimenter, en ermites, de leur support végétal, fait inhabituel chez ces animaux plutôt grégaires.

Se métamorphosant en de délicates chrysalides, fixées têtes en bas sur les hôtes avec des coussinets, il en sort 30 jours après, des Belles – Dames, à l’envergure de 4,5 cm, aux corps pourvus de 6 pattes dont les 2 antérieures, atrophiées, garnies de duvet, favorisant le nettoyage des antennes.

Un voyage au long cours

C’est le déplacement annuel d’insectes le plus important entre l’Afrique tropicale et l’Europe, parfois jusqu’au nord de la Russie.

Migrant, entre autres, pour échapper au parasitisme d’un hyménoptère, une petite guêpe, ces lépidoptères subissent les embûches de la mer Méditerranée et la traversée du Sahara, où il est nécessaire de fendre d’un trait 2 000 kms, avec des pointes de 35 km/h.

Plusieurs générations en vol migratoire

Cet exceptionnel voilier de 1,4 g. à l’espérance de vie d’un mois, parcourt annuellement 12 000 kms, avec le relais de sept générations, enfants, petits-enfants, arrière-petits enfants y compris, se transférant génétiquement le code du circuit aérien en cours.

Des récepteurs perfectionnés

Ce confondant animal navigue avec le soleil, sa boussole, même par temps couvert, et affronte étonnement des vents contraires.

Des protéines sensibles à la lumière, les cryptochromes, renseignent son minuscule cerveau d’1/4 de g. sur l’environnement.

L’imperceptible migration d’automne

Son mystérieux retour, longtemps supposé, est désormais expliqué scientifiquement grâce à de performants outils entomologiques ( radars ).

En effet, il s’est avéré que son vol invisible à l’œil nu, s’effectue à haute altitude.

Papillon Belle Dame © Laurent Verdier

Découverte d’une étrange signature

La présence d’un traceur spécifique sur les ailes de la Belle Dame, une signature chimique indélébile ( isotope ), propre à toute région du Monde, transmise à sa chenille par l’intermédiaire de l’eau de pluie aux plantes, identifie le lieu de naissance du papillon durant son parcours : travaux en cours du Pr Clément Bataille, de l’Université d’Ottawa ( Canada ).

Soyons humbles et émerveillés devant les prouesses de ces êtres prodigieux, délicats mais si endurants.

Et regardons désormais la Nature d’un œil plus attentif et circonspect.

Avec l’autorisation de l’Est Eclair / Libération Champagne

Photo d’entête Domianick et photo de mise en page © Yves Meurville